Tout comprendre à la Loi Duplomb et aux réactions qu’elle suscite

abeille qui butine une fleur

La Loi Duplomb rouvre la porte à l’acétamipride et déclenche, en dix jours, une pétition record qui a dépassé les 2 millions de signatures. Ce duel entre compétitivité agricole et survie des pollinisateurs fixe le décor (et plus encore). Essayons d’y voir plus clair.

Mise à jour :
La pétition dépasse désormais les 2 millions de signatures.

Une pétition qui bat tous les records

La Loi Duplomb a permis de remettre sous les projecteurs le débat sur l’usage des pesticides en agriculture. Elle propose notamment de réintroduire temporairement un insecticide interdit depuis 2018 : l’acétamipride.

Ce retour en arrière perçu comme une rupture avec les engagements écologiques français a fait naître une mobilisation inédite. Plus de 2 millions de personnes ont déjà signé une pétition pour demander le retrait du texte

Le 10 juillet 2025, une étudiante lance une pétition pour abroger la Loi Duplomb.
Le compteur franchit rapidement les 200 000 signatures, ce qui permet à la pétition d’être reprise sur le site de l’Assemblée Nationale.

 

Plus d’1 millions de signatures

De nouveau les chiffres s’emballent, la pétition est devenue virale et omniprésente.

Le 20 juillet, la barre du million tombe, dépassant tous les précédents recours citoyens sous la Ve République.

À la date du 21 juillet 2025, plus de 1,3 million de citoyens ont signé le texte sur le site de l’Assemblée nationale. C’est tout simplement un record sous la Ve République. Aucun autre texte législatif n’avait jusqu’ici suscité une réaction aussi massive, aussi rapide et aussi transversale.

épandage d'insecticides dans un champ

 

Pourquoi une telle mobilisation ?

Parce que le texte touche à un sujet sensible : l’avenir de l’agriculture et la protection de la biodiversité. L’acétamipride, bien que jugé utile par certaines filières, reste un pesticide aux effets controversés. Le projet de loi propose de l’autoriser à nouveau, dans certaines conditions, pour des cultures comme la betterave ou les noisettes.

Beaucoup y voient un recul sur les engagements environnementaux pris depuis 2018. Et ce qui inquiète, c’est moins la mesure en elle-même que le signal politique envoyé.
Un renoncement face à l’explosion des cas de cancers, à la chute des populations d’insectes, aux scandales à répétition (eaux potables polluées, pesticides relevés dans l’air etc).

Cette mobilisation dépasse les clivages habituels. Des scientifiques, des apiculteurs, des ONG, des élus de tout bord, mais aussi de simples citoyens y participent. Les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans l’effet boule de neige.

 

L’acétamipride, pesticide interdit depuis 2018 en France

C’est ce pesticide en particulier qui cristallise toutes les tensions.

Qu’est‑ce que l’acétamipride ?

L’acétamipride est une substance active de la famille des néonicotinoïdes. Il s’agit d’un insecticide systémique : après application, la molécule pénètre dans la plante et se diffuse dans tous ses tissus, y compris le nectar et le pollen. Cela signifie que les insectes qui se nourrissent de ces plantes, même sans contact direct avec le pesticide, peuvent être contaminés.
Tout comme les oiseaux qui vont se nourrir d’insectes contaminés etc.

L’acétamipride est utilisé pour lutter contre des insectes ravageurs sur des cultures variées : fruits à coque, betteraves, légumes, arbres fruitiers, vigne… Son efficacité est reconnue, notamment en cas d’attaque massive de pucerons ou de cicadelles. Mais sa toxicité sur les insectes pollinisateurs soulève depuis plusieurs années de nombreuses inquiétudes.

En France, il a été interdit par la loi de 2018 qui visait à bannir les cinq substances néonicotinoïdes les plus problématiques. Pourtant, cette molécule reste autorisée au niveau européen. Elle avait d’ailleurs fait l’objet de dérogation en France.

C’est ce paradoxe juridique qui a servi de levier au gouvernement pour proposer sa réintroduction, uniquement dans certains cas, et sous contrôle préfectoral.

Les producteurs de betteraves et de noisettes défendent sa réintroduction, évoquant des pertes de rendement de 30 %.

tracteur qui épand des insecticides

 

Quels sont les effets néfastes des néonicotinoïdes ?

Les études scientifiques sont nombreuses à documenter les impacts des néonicotinoïdes sur les écosystèmes. Ces insecticides agissent sur le système nerveux central des insectes. Ils bloquent certains récepteurs responsables de la transmission des signaux, provoquant paralysie puis mort.

À faible dose, ces produits induisent déjà des troubles du comportement : perte d’orientation, difficulté à retrouver la ruche, affaiblissement de la mémoire, diminution de la capacité de reproduction.

Même à faible dose et avec une exposition indirecte, des études ont montré les effets néfastes de cette substance.

L’un des problèmes majeurs, c’est la persistance. Ces substances restent actives plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans les sols, dans l’eau et même dans l’air.

Il est même évoqué une persistance de 5 à 30 ans dans les sols et dans l’eau !

Elles sont solubles et peuvent contaminer des zones bien au-delà des champs traités. Elles finissent aussi dans le nectar des plantes, touchant directement les abeilles, bourdons, papillons, et d’autres insectes essentiels à la pollinisation.

L’acétamipride est considéré comme moins toxique que d’autres néonicotinoïdes, mais des effets délétères ont été mis en évidence, y compris à des doses faibles. Par exemple, une étude a montré une chute importante de certaines espèces du sol comme les collemboles. Les résidus de ce pesticide perturbent aussi les micro-organismes, les vers de terre et les équilibres microbiens dans les sols.

Faut-il rappeler que les néonicotinoïdes ne sont pas sélectifs ? Ils ne tuent pas que les insectes nuisibles. Leur action systémique touche l’ensemble de la faune auxiliaire, y compris les coccinelles, les carabes, les syrphes, ou les parasitoïdes, qui jouent un rôle essentiel dans l’équilibre biologique.

 

Faut-il interdire l’acétamipride… partout ?

Le débat sur la Loi Duplomb a mis un coup de projecteur sur une question plus large : l’acétamipride doit-il être interdit uniquement dans les champs… ou également dans les maisons ? Cette interrogation s’est imposée dans le débat public à mesure que les défenseurs de la loi soulignaient un paradoxe : le produit serait massivement utilisé en usage domestique, sans provoquer de controverse.

Certains élus et représentants agricoles ont ainsi tenté de relativiser l’enjeu en rappelant que l’acétamipride figure dans des sprays anti-blattes, pièges à fourmis, colliers antipuces ou encore certains produits vendus en jardinerie pour les particuliers. D’après l’Anses, en 2020, la quantité d’acétamipride vendue pour un usage domestique aurait même dépassé celle destinée à un usage agricole. Autrement dit, on tolérerait dans les maisons ce qu’on interdit dans les champs. Faut-il y voir une incohérence ?

Cette lecture suscite des réactions vives. Générations Futures dénonce une présentation partiale des faits voire mensongère et accuse certains membres du gouvernement de propager de fausses informations sur la réalité des usages domestiques. D’après l’association, l’acétamipride est loin d’être omniprésente dans les produits ménagers, contrairement à ce qu’a pu déclarer la ministre de l’Agriculture.

En s’appuyant sur la base Biocid — qui recense les produits biocides disponibles en France — l’ONG précise que seuls 213 produits contiennent effectivement de l’acétamipride, sur plusieurs milliers commercialisés.

Ce n’est pas tout. Générations Futures insiste sur un point essentiel : aucun de ces produits n’a encore été pleinement évalué par l’Anses. La quasi-totalité est soit en attente d’autorisation de mise sur le marché, soit en statut transitoire, c’est-à-dire toujours sous l’ancienne réglementation. Autrement dit, ces produits sont présents sur le marché, mais sans validation scientifique complète au regard des nouvelles normes de toxicité. En l’état, il n’est pas possible de savoir si ces usages seront reconduits dans les années à venir. Selon les experts de l’ONG, il est même très probable que nombre d’entre eux soient interdits à terme, dès que les seuils de toxicité abaissés seront pris en compte dans les processus d’autorisation.

 

Le déclin des abeilles en France et en Europe

En toile de fond de cette controverse, il y a un constat alarmant : le déclin rapide des abeilles et des autres pollinisateurs. Ce phénomène est documenté depuis plus de quinze ans. En France, la production de miel a chuté de près de 30 % en cinq ans. Le taux de mortalité des colonies en sortie d’hiver dépasse régulièrement les 25 %, un niveau jugé très préoccupant.

ruches dans un champ

Les causes sont multiples : changement climatique, monocultures, perte de biodiversité florale, maladies, parasites comme le varroa… mais aussi exposition chronique aux pesticides. Ce que montrent les recherches récentes, c’est l’effet cumulatif de ces facteurs. Les colonies, déjà affaiblies, deviennent plus sensibles aux toxiques. Une abeille exposée à des résidus de néonicotinoïdes, même à faible dose, sera plus vulnérable face à une infection virale ou à un stress nutritionnel.

En Europe, près de 10 % des espèces d’abeilles sauvages sont menacées de disparition. Or, les abeilles domestiques ne suffisent pas à assurer la pollinisation de toutes les cultures. Les insectes sauvages, avec leur diversité d’espèces et de comportements, jouent un rôle complémentaire essentiel.

Le déclin généralisé des pollinisateurs pourrait avoir des conséquences économiques majeures. On estime à plus de 150 milliards d’euros par an la valeur du service écologique rendu par la pollinisation à l’échelle mondiale.

Faut-il attendre que ce service naturel se dégrade totalement pour réagir ? C’est cette question qui alimente l’émotion et la révolte d’une partie de la population face à la Loi Duplomb.

 

Les autres aspects de la Loi Duplomb

La controverse autour de l’acétamipride occupe la scène médiatique, mais la Loi Duplomb comprend d’autres volets qui méritent d’être analysés. Le texte vise globalement à « lever les contraintes pesant sur le métier d’agriculteur», selon les termes du ministère de l’Agriculture. Cela se traduit concrètement par une série de mesures touchant aux procédures, aux conseils agricoles et à l’eau.

Bâtiments pour l’élevage

Parmi les dispositions adoptées, certaines concernent les projets d’élevage et les infrastructures hydrauliques. Les procédures environnementales pour la construction ou l’extension de grands bâtiments d’élevage sont allégées.

Mega-bassines

Les retenues d’eau, comme les méga-bassines, sont désormais présumées d’intérêt général majeur. Cela facilite leur autorisation, notamment dans les zones à déficit hydrique structurel.

 

Ambitions écologiques de la France : le changement de discours

« Make the Planet Great Again » était une annonce de campagne. Par la suite la France s’est distinguée par sa position ferme sur les pesticides. En 2018, elle interdit cinq néonicotinoïdes avant même l’adoption de ces restrictions à l’échelle européenne. Cette décision est saluée comme un signal fort en faveur de la biodiversité. Elle s’inscrit dans une série d’annonces ambitieuses : sortie du glyphosate, réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires, soutien à l’agriculture biologique…

Sept ans plus tard, le discours a changé. La Loi Duplomb acte un virage. Le gouvernement met désormais en avant la souveraineté alimentaire, la résilience des filières, et la nécessité de ne pas laisser les producteurs français en difficulté face à des concurrents européens qui utilisent des produits interdits en France.

La question posée est simple : si l’acétamipride est autorisé en Allemagne, en Espagne ou en Pologne, pourquoi les agriculteurs français devraient-ils s’en passer ? Pour le gouvernement, il ne s’agit pas d’un reniement mais d’un rééquilibrage. Il assure vouloir « trouver un juste milieu entre environnement et compétitivité ».

Mais cette ligne n’est pas claire pour tout le monde. Certains y voient un double discours, une forme de renoncement à l’exemplarité. D’autres dénoncent une logique à court terme, qui sacrifie la transition écologique sur l’autel de la rentabilité immédiate.

Cette contradiction entre discours écologiste et arbitrage économique fragilise la crédibilité de la France sur la scène européenne. Elle interroge aussi sur le sens donné aux politiques publiques agricoles : s’agit-il de soutenir un modèle durable ou de préserver à tout prix la production nationale ?

Et vous, que pensez-vous de cette pétition ?

Retrouvez la pétition sur le site de l’Assemblée Nationale ici.

Partagez l'article :

Facebook
Twitter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Sommaire
Suivez-nous :
Retour en haut